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Retour d’Inde

Je n’oublierai pas le sourire des femmes et des enfants sur la promenade du bord de mer, à Pondichéry.

Je n’oublierai pas les couleurs de leurs saris, de leurs tenues de fête, la franchise, l’entièreté des teintes et leur chatoyance. Un éblouissement.

Je n’oublierai pas l’Inde de ce mois de janvier 2018. C’était jour de fête. C’était Pongal. Dès l’aéroport, les guirlandes lumineuses sont partout, rouges, bleues, vertes, jaunes. Tous les possibles sont réunis pour un tableau audacieux. C’est un brin kitsch, mais pas totalement non plus.

Et c’est exactement cela, l’Inde : cette impression de s’approcher de quelque chose de familier, tout en réalisant soudain que ça n’est pas tout à fait ça. C’est une illusion, un trompe-l’œil. On connaît tout, et on ignore tout. On a l’impression de savoir, déjà, et puis ce sentiment s’estompe pour laisser place à l’inconnu, à l’incompréhensible. A l’inénarrable aussi. L’Inde invite avant tout à la modestie. Elle n’est pas simplement surprenante, elle est insaisissable, terriblement concrète et incroyablement fantasmatique. On l’aime, on la déteste. Elle nous charme, elle nous énerve.

« En Inde, le chaos est une autre forme d’organisation »

Je me souviens du patron allemand d’Airbus à Bangalore qui nous avait confié, lors d’une Learning expedition en 2014 : « En Inde, le chaos est une autre forme d’organisation ». En y repensant, je me dis que pour en arriver là, cet homme avait dû sacrément travailler sur lui.

J’avais quitté l’Inde fin 2015. La capitale était polluée comme jamais. Le groupe que j’accompagnais était épuisé et anxieux. Je m’étais demandée si j’y reviendrais un jour.

Et puis oui.

J’ai glissé Le tigre blanc dans mon sac et le Petit dictionnaire amoureux de Jean-Claude Carrière. Et m’y revoilà. Une semaine pour permettre à un petit groupe de se poser, de pratiquer le yoga, de s’imprégner de quelques touches d’ayurveda. Une semaine pour lever un coin de voile sur ce pays complexe, multi facettes, foutraque et fascinant. C’est court et c’est déjà beaucoup pour certains, pour certaines, qui appréhendaient, qui rêvaient de l’Inde sans avoir jamais osé.

Une semaine à Dune, un éco village au bord du Golfe du Bengale. Rien que de prononcer ces mots fait rêver. Les tortues géantes s’échouent sur la plage. Il ne reste au bout de quelques jours que la marque ovale de leur carapace sur le sable.

Dune a été dévasté par le tsunami en 2004, puis patiemment reconstruit. La terre a été désalinisée, les bungalows reconstruits, les palmiers ont retrouvé toute leur envergure. Et c’est comme si les bougainvillées avaient toujours été là, avec leurs monceaux de fleurs parfaitement fuchsia. Comment concevoir aujourd’hui la désolation, le ciel gris et bas, les palmiers rabattus sur les gravas ?

Dans chaque coin du jardin, les statues des divinités veillent sur les va et viens des vacanciers et sur le personnel vêtu de bleu roi qui vaque sans bruit.

Une demi-heure plus loin, Pondichéry. Les bâtiments gris et blancs de l’Ashram de Sri Aurobindo et la figure de Mère. Mira Alfassa, intrigante, dérangeante même. Dans la fabrique de papier, l’huile du papier marbré flotte à la surface des bacs. A la caisse de la boutique des senteurs, une vieille indienne dans un sari aussi blanc que ses cheveux serrés en chignon, parle un français parfait. Roshan, notre guide de 24 ans, rit de nos blagues et de nos expressions. Il manie l’humour et la subtilité de la langue française avec une aisance époustouflante. Il n’a jamais mis un pied en France.

Le dépaysement dans le dépaysement, la France d’ici et d’ailleurs

Rue Romain Rolland, nous passons, amusés, devant le « Ciné Pathé familial ». Une affiche présente un spectacle français : Une chambre en Inde. Ariane Mnouchkine discute avec un couple. La dame de la Cartoucherie est en résidence à « Pondy ». Le spectacle qu’elle a monté ici avec l’Ecole nomade ira en France dans quelques semaines. Nous discutons quelques minutes, puis elle file d’un pas alerte. L’ambiance est provinciale. Le dépaysement dans le dépaysement, vertigineuse mise en abîme de la France d’ici et d’ailleurs, d’autrefois et de demain.

Auroville. A la Solar Kitchen, nous nous mêlons à une foule jeune et cosmopolite qui se presse pour déjeuner. A l’entrée du grand hall sonore, sandales et baskets s’entassent dans un drôle de capharnaüm. Dans cette cantine, on circule pieds nus avec son plateau en fer blanc que l’on nettoie avant de sortir. Nous sommes au coeur d’Auroville, cette enclave multinationale de 25 km2 au cœur du Tamil Nadu. De la fabrique d’instruments de musique au Matrimandir, en passant par la maison du Tibet, celle de l’Afrique, sans oublier le Visitor’s center avec ses boutiques de souvenirs plus ou moins ésotériques : rien, ici, ne facilite la tâche du visiteur néophyte. La ville expérimentale dont on célèbre les 50 ans en ce mois de février, présente de multiples facettes qui brouillent les pistes. Utopie hippie, secte ou communauté avant-gardiste ? L’esprit des origines insufflé par la troublante Mère que l’on retrouve ici, a -t-il été dévoyé ? De quelle Inde parle-t-on à Auroville ?

Notre petit groupe s’interroge, et veut comprendre avec cette obstination des bons élèves. Puis au fil des jours, chacun se laisse porter, puis inspirer. Dans la salle de yoga, ouverte sur la nature, de curieux chants d’oiseaux accompagnent le lever du soleil. Au loin, on entend les invocations religieuses dans le haut-parleur du village. Les liens se tissent entre les uns et les autres, les mots sont posés. Comme si on se connaissait depuis toujours. On rit de rien. La magie de l’ailleurs a opéré. Les mystères de l’Inde n’ont pas été livrés. Le voyage aura été intérieur.

L.D

Le tigre blanc, d’Aravind Adiga et L’équilibre du Monde, de Rohinton Mistry sont deux ouvrages magnifiques qui aident à mieux comprendre l’Inde et le système des castes.

Petit dictionnaire amoureux de l’Inde, Jean-Claude Carrière, une entrée en douceur, à petits pas et un voyage initiatique passionnant de ce grand connaisseur de l’Inde.

https://www.theatre-du-soleil.fr/fr/autour/la-transmission/l-ecole-nomade/pondichery-inde-2018-291

Auroville, Retour sur une utopie, de 1968 à nos jours, un documentaire éclairant, disponible en DVD.

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