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Intelligence collective : de quoi parle-t-on ?

De par l’approche et la posture qu’elle nous invite à adopter, l’intelligence collective permet de faire face à la complexité ambiante. Dans un environnement devenu instable et illisible, elle propose une autre grammaire pour être et pour faire.

« Le tout est supérieur à la somme des parties ». C’est ainsi que l’on a coutume de résumer le principe de l’intelligence collective. Les plus inspirés d’entre nous aiment aussi le définir par ce proverbe attribué, selon les jours et les personnes, soit à la sagesse africaine, soit à la tradition indienne : « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Certes, on peut aussi considérer les méthodes collaboratives comme un ensemble d’outils innovants et d’ateliers ludiques qui – du World Café à la matrice KISS (Keep, Improve, Stop, Start) et autres Speedboat – ont le mérite et la capacité réelle de remobiliser des collectifs épuisés par les crises à répétition, les exigences de rentabilité et la perte de repères.

Il me semble pourtant que l’intelligence collective est surtout et avant tout, un pari. Un pari fou. Peut-être même le seul qui vaille dans le contexte mouvant, incertain et complexe dans lequel nous évoluons désormais. Un pari à la mesure de cet environnement devenu imprévisible et, en tout cas, tout aussi challengeant.

L’approche collaborative est audacieuse en ce qu’elle offre une alternative à tous les modèles qui ont structuré notre pensée et nos manières d’agir jusqu’à maintenant. Or comme nous alertait déjà Albert Einstein en son temps : « Aucun problème ne peut être résolu sans changer l’état d’esprit qui l’a engendré ».  Ainsi, par exemple, face à la tendance à décomposer chaque problème pour le traiter en silos, et à considérer qu’il n’y a qu’une solution et qu’une réponse par question, elle invite à prendre de la hauteur vis-à-vis de la chaine de causes à effets et à adopter une vision systémique.

Face à la sacro-sainte « objectivité » au service d’une « vérité », elle présente la diversité comme une richesse et une source permanente d’ouverture, d’empathie et d’apprentissage.

Face à une vision élitiste de tout parcours vu comme une compétition qui ne tolère qu’un seul gagnant, elle met l’humain et la coopération en son cœur, en suggérant qu’il vaut mieux privilégier la relation, plutôt que le fait d’avoir raison. Et que l’échec est un levier de progrès.

Face à l’hyper contrôle et à toutes les évaluations quantitatives, elle invite à accueillir ce qui émerge et à s’engager au service de sujets qui font vraiment sens pour chacune et chacun d’entre nous, notamment en remettant la notion de bien commun au centre.

A l’individu « coupé en tranches de vies » – professionnelle versus personnelle, publique versus privée – elle oppose la réconciliation et la cohérence.

Mais les approches collaboratives sont aussi un sacré défi parce que les alternatives que nous venons de citer sont par nature inédites, voire contre intuitives, pour beaucoup d’entre nous, et dès lors inconfortables et parfois délicates à mettre en œuvre. L’intelligence collective ne peut en effet exister sans cette subtile alliance du Je et du Nous, dans la conviction que l’un ne peut pas exister sans l’autre et vice et versa. « Je ne peux prendre soin de l’autre et du collectif sans commencer par prendre soin de moi ». Ce postulat vient questionner en profondeur notre pensée judéo chrétienne tout en fondant un nouveau modèle de leadership, courageux et confiant.

Enfin, l’approche collaborative invite à changer de regard sur notre réalité pour résonner en termes d’opportunités. De s’intéresser aussi à ce qui marche, à ce qui anime et rend un collectif vivant ainsi que les personnes qui le composent, plutôt que de s’obstiner à analyser et mettre ainsi en relief les difficultés qui les empêchent. Au risque de devenir soi-même le problème. « Si tu as un problème et pas de solution, c’est que tu es le problème » nous souffle malicieusement le sage.

Changer de lunettes et adopter le regard neuf du naïf, c’est en cela que la proposition de l’intelligence collective est différente. Je crois pour ma part que sa grande force est la posture qu’elle invite chacune et chacun à adopter – facilitateur d’un atelier comme participant, manager comme collaborateur, fonctionnaire comme usager, élu comme citoyen. « En équivalence » comme nous avons coutume de le nommer : « Chaque voix compte », « Il y a un leader dans chaque chaise ». Une posture authentique d’écoute et de questionnement, de curiosité aussi, qui ne considère rien comme acquis. Et c’est seulement si ces conditions sont réunies qu’un nouveau champ des possibles peut s’ouvrir.

Chaque jour depuis une dizaine d’années, comme les nombreux coachs, facilitatrices et facilitateurs qui pratiquent cet art, j’assiste à cette ouverture du champ, grâce à la volonté de faire différemment portée par des équipes en quête de sens et d’impact, au sein d’organisations très diverses, du géant mondial au groupe associatif territorial en passant par des PME et des services publics… Le plus souvent par petites touches, par petits pas. Car il n’est jamais question de révolution ni de « grand soir », dans ces processus.

Par les temps de grande instabilité que nous traversons, dans ce monde en mouvement permanent devenu notre contexte présent et sans doute futur, nous expérimentons ainsi quotidiennement que la seule manière de répondre aux défis qu’il nous présente de manière incessante – et pour certains, urgente – est d’allier nos forces, nos expériences et nos talents dans une approche attentive, à la fois humble et ambitieuse.

©Laure Dumont, facilitatrice de l’intelligence collective (24 février 2022)

Photo by Ricardo Resende on Unsplash

 

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